Quand un médicament de marque perd sa protection par brevet, tout le monde s’attend à ce que des versions moins chères apparaissent sur le marché. Mais ce que peu de patients savent, c’est que souvent, c’est la même entreprise qui a créé le médicament de marque qui lance aussi la version générique. Ce n’est pas un concurrent qui copie le produit. C’est le fabricant lui-même. On appelle ça un générique autorisé.
Qu’est-ce qu’un générique autorisé ?
Un générique autorisé, c’est exactement la même pilule, le même comprimé, la même injection que le médicament de marque. Même forme, même couleur, même ingrédient actif, même excipient, même usine où il est fabriqué. La seule différence ? L’emballage et l’étiquette. On retire le nom de la marque, on met « générique » ou le nom chimique du médicament. Le reste est identique.En France, ce n’est pas une pratique courante, mais aux États-Unis, c’est devenu une stratégie standard. Dès qu’un brevet expire, des géants comme Pfizer, Johnson & Johnson ou Eli Lilly lancent leur propre version générique. Pourquoi ? Parce qu’ils savent qu’ils vont perdre 80 à 85 % de leurs ventes dans les douze mois suivant l’expiration du brevet. Si personne ne vend de générique, ils perdent tout. Si d’autres entreprises le font, ils perdent tout et ils ne contrôlent plus rien. Mais s’ils le font eux-mêmes, ils gardent une part du marché, ils gardent la qualité, et ils gardent les revenus.
Comment ça se passe en pratique ?
Le processus commence des années avant la fin du brevet. Les entreprises préparent leur stratégie 24 à 36 mois à l’avance. Elles n’ont pas besoin de refaire des essais cliniques. Elles utilisent déjà les données qu’elles ont fournies à la FDA (ou à l’EMA en Europe) pour obtenir leur autorisation de mise sur le marché. Elles déposent simplement une demande d’autorisation pour un générique - ce qu’on appelle une ANDA (Abbreviated New Drug Application) - en se basant sur leur propre produit.Le site de production reste le même. Les machines, les techniciens, les contrôles qualité, les normes GMP (Good Manufacturing Practices) : tout est inchangé. La seule chose qui change, c’est l’étiquette. Un comprimé qui s’appelait « Lipitor » devient « atorvastatine ». Le patient le prend dans sa boîte bleue, mais il n’y a plus le logo Pfizer.
Le timing est crucial. Les fabricants de marques veulent lancer leur générique autorisé le jour même où le brevet expire. Cela leur permet de contourner la période d’exclusivité de 180 jours accordée au premier fabricant de générique traditionnel. En 2019, Teva a lancé son générique autorisé de Copaxone le jour même où le brevet a expiré. Ils ont capté 22 % du marché en trois mois.
Les avantages pour les fabricants
C’est une stratégie intelligente du point de vue commercial. Plutôt que de voir leur produit se faire détruire par des concurrents, ils le transforment en un produit à prix réduit qu’ils contrôlent totalement. Selon une analyse de Drug Patent Watch en 2023, les fabricants de marques capturent entre 15 % et 35 % du marché générique dès la première année. C’est loin d’être négligeable.Le prix ? Il est souvent fixé à 10-15 % en dessous du prix de marque, mais 5-10 % au-dessus des génériques des concurrents. C’est une zone grise. Pas assez bas pour être le plus cher, pas assez haut pour être perçu comme un produit de luxe. C’est un piège subtil : les patients pensent qu’ils économisent, mais ils paient encore plus que s’ils avaient choisi un vrai générique.
Le cas d’Eli Lilly avec Cialis en 2018 est emblématique. Malgré l’arrivée de plusieurs génériques, le générique autorisé de Lilly a conservé 78 % des revenus totaux du médicament. Pourquoi ? Parce que les médecins et les pharmacies continuaient à le prescrire - ils pensaient que c’était « la même chose », et ils avaient raison.
Les critiques et les polémiques
Mais tout n’est pas rose. Les autorités de régulation ont commencé à s’inquiéter. La FTC (Commission fédérale du commerce aux États-Unis) a poursuivi plusieurs entreprises pour abus de position dominante. En 2017, Actavis a dû payer 448 millions de dollars pour avoir utilisé un générique autorisé pour bloquer la concurrence sur le médicament Namenda.Le professeur Aaron Kesselheim, de l’université de Harvard, a écrit en 2022 dans JAMA que les génériques autorisés « apportent peu de réduction de prix aux patients » et servent surtout à maintenir le contrôle du marché par les grandes entreprises. Ses données montrent que dans les marchés avec générique autorisé, les prix baissent de seulement 32 %, contre 68 % quand les génériques viennent de concurrents indépendants.
Les pharmaciens indépendants ont aussi un problème : les patients ne comprennent pas la différence. Une enquête de la National Community Pharmacists Association en 2022 a révélé que 63 % des pharmaciens disent que les patients sont confus. Ils pensent qu’ils ont acheté un générique « vrai », alors que c’est le même produit qu’avant, juste avec un nouvel emballage.
Et les patients ?
Les patients, eux, ont des avis partagés. Sur Drugs.com, les génériques autorisés ont une note moyenne de 4,2 sur 5, contre 3,8 pour les génériques traditionnels. Pourquoi ? Parce que les gens disent : « C’est exactement la même pilule que j’ai toujours prise. » Ils n’ont pas peur d’un changement de formule, de couleur, ou de fabricant. Ils veulent de la stabilité.Une enquête de la Kaiser Family Foundation en 2023 a montré que 71 % des patients préfèrent le générique autorisé quand il est disponible. Mais 64 % ne savent pas qu’il est produit par la même entreprise que le médicament de marque. Quand on leur explique, beaucoup sont surpris. Certains se sentent trompés. D’autres, rassurés.
Le futur des génériques autorisés
Avec environ 250 milliards de dollars de ventes de médicaments de marque qui vont perdre leur brevet entre 2023 et 2027, cette stratégie ne fait que commencer. Les cinq plus grandes entreprises pharmaceutiques (Pfizer, Johnson & Johnson, Roche, Merck, AbbVie) ont lancé 47 génériques autorisés entre 2020 et 2023 - une augmentation de 28 % par an.Et ça va encore s’élargir. Les médicaments biologiques, comme les traitements contre le cancer ou la sclérose en plaques, sont de plus en plus complexes. Il est très difficile pour un concurrent de les copier. Alors les fabricants de marques lancent leurs propres versions, appelées « biosimilaires autorisés ». En 2023, Amgen a lancé la première version autorisée de son propre médicament Enbrel. C’est un tournant.
Les analystes de SVB Securities prédisent qu’en 2025, 40 % des médicaments de petite molécule perdant leur brevet auront un générique autorisé. Ce n’est plus une exception. C’est la norme.
Qu’est-ce que ça change pour vous ?
Si vous prenez un médicament de marque et que vous voyez une version générique à prix réduit, demandez-vous : est-ce que c’est un vrai générique, ou un générique autorisé ? La réponse peut vous faire économiser de l’argent - ou pas.Si vous voulez le prix le plus bas, cherchez les génériques des entreprises indépendantes. Si vous voulez la même pilule que vous connaissez, avec la même confiance, choisissez le générique autorisé. Mais sachez que vous payez un peu plus, et que c’est toujours la même entreprise qui gagne.
La transparence est la clé. Les patients méritent de savoir qui fabrique ce qu’ils prennent. Même si c’est la même pilule, ce n’est pas la même histoire.
Un générique autorisé est-il vraiment plus cher qu’un vrai générique ?
Oui, généralement. Un générique autorisé est souvent 5 à 10 % plus cher que les génériques produits par des concurrents. C’est parce que le fabricant de la marque conserve une part du marché et ne cherche pas à vendre au prix le plus bas. Il veut équilibrer entre conserver des revenus et offrir une alternative. Les vrais génériques, eux, sont souvent vendus à des prix très bas pour gagner du volume.
Le générique autorisé est-il aussi efficace que le médicament de marque ?
Oui, absolument. Un générique autorisé est produit dans la même usine, avec les mêmes ingrédients, les mêmes processus et les mêmes contrôles que le médicament de marque. La seule différence est l’étiquette. La FDA confirme un taux de bioéquivalence de 99,7 % entre les génériques autorisés et leurs versions de marque.
Pourquoi les fabricants de marques ne vendent-ils pas directement leur générique sous leur propre nom ?
Parce que la loi interdit de vendre un médicament générique avec le nom de la marque. C’est une question de propriété intellectuelle. Même si c’est le même produit, ils doivent utiliser le nom chimique (comme « atorvastatine ») et un emballage différent. Sinon, ils enfreignent les règles de marque et risquent des poursuites.
Est-ce que les génériques autorisés sont disponibles en France ?
Très rarement. En France, la réglementation favorise les génériques produits par des entreprises indépendantes. Les fabricants de marques n’ont pas l’habitude de lancer leur propre version générique. Le système de remboursement et les règles de concurrence sont différents. C’est une pratique presque exclusive aux États-Unis.
Les génériques autorisés sont-ils une forme de tromperie ?
C’est une question éthique. Techniquement, ce n’est pas une tromperie : le médicament est exactement le même. Mais l’effet psychologique peut l’être. Les patients pensent qu’ils achètent un produit « moins cher » alors que c’est le même. Et le prix n’est pas toujours très bas. C’est une stratégie commerciale intelligente, mais pas toujours transparente pour le consommateur.