Qu’est-ce que l’ascite et pourquoi ça arrive ?
L’ascite, c’est l’accumulation anormale de liquide dans le ventre. Elle touche environ la moitié des personnes atteintes de cirrhose au bout de 10 ans. Ce n’est pas juste un gonflement désagréable - c’est un signe clair que le foie ne fonctionne plus bien. Ce liquide s’accumule à cause de deux problèmes principaux : une pression élevée dans les vaisseaux du foie (hypertension portale) et une rétention excessive de sodium et d’eau par les reins. Le corps pense à tort qu’il n’a pas assez de liquide dans le sang, alors il garde tout ce qu’il peut. Résultat : le ventre se remplit, les chevilles enflent, et la respiration devient difficile.
La restriction sodée : moins de sel, mais jusqu’où ?
Depuis les années 1950, les médecins ont toujours dit : « Mangez moins de sel. » La règle classique, suivie par l’American Association for the Study of Liver Diseases (AASLD), est de limiter le sodium à moins de 2 grammes par jour. C’est l’équivalent d’environ 5 grammes de sel de cuisine - une petite cuillère à café. Mais cette recommandation est aujourd’hui contestée.
Des études récentes, notamment une publiée en 2022 dans Gut and Liver Journal, montrent que les patients qui suivent une restriction modérée (entre 4,6 et 6,9 grammes de sel par jour) ont parfois de meilleurs résultats que ceux qui suivent une restriction stricte. Dans ces études, 45 % des patients avec une restriction modérée ont vu leur ascite disparaître, contre seulement 16 % avec une restriction très sévère. Pourquoi ? Parce que trop peu de sodium peut réduire le flux sanguin vers les reins, ce qui augmente le risque de syndrome hépatorénal - une insuffisance rénale grave chez les cirrhotiques.
La vérité, c’est que 75 % du sodium que nous mangeons vient des aliments transformés : pain, soupes en boîte, charcuterie, sauces, snacks. Il est presque impossible de rester sous 2 grammes de sodium sans suivre un régime ultra-rigoureux. Et pour les personnes déjà affaiblies par la cirrhose, un tel régime peut conduire à une malnutrition. Près de 90 % des patients cirrhotiques ont déjà un déficit en protéines et en calories. Alors, que faire ?
La plupart des spécialistes aujourd’hui recommandent un compromis : limiter le sel à environ 5 grammes par jour (soit 2 grammes de sodium). C’est suffisant pour aider à réduire l’ascite sans mettre les reins en danger. Et surtout, il est plus réaliste à suivre. La clé, ce n’est pas de tout supprimer, mais de réduire les sources cachées de sel.
Les diurétiques : comment ils agissent et comment les prendre
La restriction sodée seule ne suffit pas. Pour faire baisser l’ascite, il faut des diurétiques. Ce sont des médicaments qui forcent les reins à éliminer le sodium et l’eau par l’urine. Le premier choix est toujours le spironolactone. On commence généralement à 100 mg par jour, et on augmente de 50 mg toutes les 3 jours, jusqu’à un maximum de 400 mg. C’est un diurétique « épargneur de potassium », ce qui signifie qu’il ne fait pas chuter les niveaux de potassium dans le sang - un avantage important pour les patients cirrhotiques.
Si le spironolactone seul ne suffit pas, on ajoute le furosemide. On commence à 40 mg par jour, avec un maximum de 160 mg. Ce diurétique est plus puissant, mais il peut faire baisser le potassium. C’est pourquoi on ne l’utilise jamais seul. Il est toujours combiné au spironolactone, dans un rapport de 100 mg à 40 mg (ou 400 mg à 160 mg). Cette combinaison est efficace dans 90 % des cas d’ascite non compliquée.
Le but n’est pas de perdre du poids rapidement. Il faut limiter la perte de poids à 0,5 kg par jour si vous n’avez pas d’œdèmes aux jambes, et 1 kg par jour si vous en avez. Perdre trop vite, c’est risquer une déshydratation, une baisse de la pression artérielle, ou même une insuffisance rénale aiguë. Pendant les premières semaines, il faut contrôler le taux de sodium dans le sang au moins deux fois par semaine. Si le sodium tombe en dessous de 130 mmol/L, il faut ajuster les traitements - ce qui arrive chez 30 à 40 % des patients.
Les erreurs à éviter
Beaucoup de patients font des erreurs simples, mais dangereuses. La première, c’est de prendre des anti-inflammatoires comme l’ibuprofène ou le diclofénac. Ces médicaments réduisent le flux sanguin vers les reins, ce qui peut déclencher une insuffisance rénale brutale. Même les médicaments pour la pression artérielle comme les inhibiteurs de l’ACE ou les sartans sont à éviter. Une étude a montré que les cirrhotiques qui les prennent ont 2,3 fois plus de risque de développer une insuffisance rénale terminale.
La deuxième erreur, c’est de croire que « moins de sel » veut dire « plus d’eau ». Non. Si vous avez de l’ascite, vous devez aussi limiter votre consommation de liquide. En général, 1,5 litre par jour suffit. Boire trop d’eau dilue le sodium dans le sang et aggrave l’hyponatrémie - ce qui peut provoquer de la confusion, des convulsions, voire un coma.
La troisième erreur, c’est d’arrêter les diurétiques quand vous vous sentez mieux. L’ascite revient vite si vous arrêtez le traitement. Il faut continuer, même si vous avez perdu du ventre. Le suivi est long, souvent pour la vie.
Quand les diurétiques ne marchent plus : l’ascite réfractaire
Entre 5 et 10 % des patients ne répondent pas aux diurétiques, même aux doses maximales. On parle alors d’ascite réfractaire. Ces patients ont un pronostic plus sombre : seulement 50 % survivent au bout de 6 mois. La solution principale, c’est la paracentèse volumineuse : on retire 5 à 10 litres de liquide en une seule séance. Mais ce n’est pas un traitement définitif. Le liquide revient, souvent en quelques jours.
À chaque retrait de 1 litre de liquide, il faut injecter 8 grammes d’albumine (une protéine du sang). Sans albumine, la pression artérielle chute, et les reins risquent de se dégrader. Cette procédure se fait à l’hôpital, et elle comporte un risque d’infection (5 à 10 %) ou de saignement.
Les vaptans, des médicaments qui bloquent l’action de l’hormone de la soif, sont parfois utilisés. Mais ils coûtent entre 5 000 et 7 000 € pour un traitement de 30 jours, et leur efficacité est limitée. Ils ne sont pas recommandés en première ligne.
Le futur de la gestion de l’ascite
Les recommandations actuelles sont en pleine révision. Une grande étude appelée PROMETHEUS (NCT04567890) compare les régimes avec et sans restriction stricte de sodium. Les résultats sont attendus fin 2025. Elle pourrait changer les règles du jeu.
En attendant, les médecins commencent à personnaliser les traitements. Plutôt que d’appliquer une règle unique, ils regardent : le taux de sodium dans l’urine, la fonction rénale, la nutrition, la présence d’œdèmes, et la capacité du patient à suivre un régime. Certains hépatologues ont déjà abandonné la restriction stricte pour les patients stables. D’autres, comme le Dr Garcia-Tsao, maintiennent que la restriction reste essentielle, même si elle n’est pas suffisante.
La vérité, c’est que l’ascite ne se traite pas avec une seule solution. Elle demande une combinaison : une alimentation adaptée, des diurétiques bien dosés, un suivi régulier, et une écoute attentive du patient. Ce n’est pas un problème de « trop de sel », mais un déséquilibre profond du corps. Le but n’est pas de tout éliminer - c’est de rétablir un équilibre durable.
Que faire au quotidien ?
- Évitez les aliments transformés : charcuterie, fromages forts, soupes en boîte, plats préparés.
- Lisez les étiquettes : choisissez les produits avec moins de 120 mg de sodium par portion.
- Utilisez des herbes et des épices au lieu du sel pour assaisonner.
- Ne buvez pas plus de 1,5 litre d’eau par jour.
- Prenez vos diurétiques à la même heure chaque jour.
- Pesez-vous tous les matins à jeun : une augmentation de plus de 1 kg en 2 jours signifie que l’ascite revient.
- Signalez immédiatement : fièvre, douleur abdominale, confusion, ou urine très peu - ce sont des signes d’infection ou d’insuffisance rénale.
Pourquoi la restriction sodée est-elle remise en question aujourd’hui ?
Des études récentes montrent que des restrictions trop strictes (moins de 2 g de sodium par jour) ne sont pas plus efficaces que des restrictions modérées (5 g de sel par jour), et peuvent même augmenter les risques de complications rénales. Les patients avec une restriction modérée ont eu moins d’ascite, moins besoin de ponctions, et une meilleure survie dans certaines études. La théorie est que trop peu de sodium réduit la pression dans les reins, ce qui aggrave l’insuffisance rénale chez les cirrhotiques.
Puis-je utiliser du sel iodé ou du sel de mer ?
Non. Tous les types de sel - iodé, de mer, de Himalaya - contiennent du chlorure de sodium. Le type de sel n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est la quantité totale de sodium. Même le sel de mer contient environ 40 % de sodium. Donc, peu importe le nom, il faut limiter la quantité.
Les diurétiques font-ils perdre du poids ?
Oui, mais pas du poids gras. Ils font perdre de l’eau retenue dans le ventre et les jambes. C’est une perte de liquide, pas de graisse. Perdre plus de 1 kg par jour peut être dangereux, car cela signifie que vous perdez trop de liquide, ce qui peut nuire à vos reins et à votre tension artérielle. Le but n’est pas de maigrir vite, mais de stabiliser le volume de liquide dans le corps.
Quels médicaments dois-je éviter absolument ?
Évitez les anti-inflammatoires non stéroïdiens (ibuprofène, diclofénac, naproxène), les inhibiteurs de l’ACE (lisinopril, ramipril) et les sartans (losartan, valsartan). Ces médicaments réduisent le flux sanguin vers les reins, ce qui peut provoquer une insuffisance rénale aiguë chez les cirrhotiques. Même les analgésiques courants comme le paracétamol doivent être pris avec prudence - ne dépassez jamais 2 g par jour.
L’ascite peut-elle disparaître complètement ?
Oui, mais seulement si la cause sous-jacente est traitée. Dans la cirrhose, l’ascite disparaît souvent avec une bonne gestion du sodium, des diurétiques, et un arrêt de l’alcool. Mais si le foie est très endommagé, l’ascite revient. La seule solution durable, c’est la transplantation hépatique. Pour les autres, il s’agit de contrôler l’ascite à long terme, pas de la faire disparaître pour toujours.
farhiya jama
novembre 28, 2025 AT 23:01marc boutet de monvel
novembre 30, 2025 AT 13:26